Spectacle « SkrrtCHHH »
Et à la fin, on fera ce qu’on peut avec ce qu’on a.
Et s’il ne restait plus qu’un seul homme sur Terre et que cet humain, appelons-le Pöch à tout hasard, traînait sa solitude sur le dernier continent encore inexploré : le continent de plastique ?!
“SkrrtCHHH”, le nouveau spectacle imprononçable que la compagnie Full Bazar a proposé en clôture de la journée de rencontre autour du traitement des déchets est une véritable pépite d’inventivité à la fois poétique, drôle, triste, réaliste et fantaisiste qui tourne dans la région depuis 2020.
Né au Maroc et de l’observation de notre monde envahie par le plastique et les déchets, le spectacle a été écrit par Solan Ricciardi, joyeux luron Haut-Alpin qui grommèle sur scène mais sait néanmoins très bien exprimer ses intentions en coulisses : “Nous ne sommes pas là pour moraliser les autres quant à la situation que nous vivons aujourd’hui, je suis moi-même loin d’être parfait dans mes habitudes de consommation, mais avec toute l’équipe, on souhaite réellement sensibiliser notre public et faire réfléchir les spectateurs.”
Et effectivement, on ne ressort pas indemne de cette heure en leur compagnie. Kevin Taduy accompagne les pérégrinations de notre héros des temps tristes en enchaînant les morceaux choisis au piano et Matteo Lenestour éclaire le tout avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité. Le résultat est rythmé et embarque petits et grands dans une sorte de ballet composé d’une étoile humaine et d’un corps hétéroclite, tantôt vivant, tantôt matière, tantôt imaginaire.
Pourtant, il n’y a rien d’abstrait dans ce qui est présenté : les émotions partagées sont palpables, mais surtout bien connues de tous (la colère, la tristesse, la joie, la surprise), les gags fonctionnent à la perfection et font rire l’audience à l’unisson. Enfin, les références aux grandes œuvres de notre époque distillées tout au long du spectacle sont pertinentes et, en ajoutant un petit côté “Madeleine de Proust” à l’ensemble, nous rappellent aussi que nous sommes sur Terre et pas dans une galaxie lointaine : il est bien là question de notre propre monde et c’est de celui-ci que nous devons prendre soin aujourd’hui.
Ainsi, les idées s’emboîtent en même temps que les cartons s’empilent sur scène, les références s’enchaînent et les émotions s’accumulent, mais il est pourtant assez compliqué de mettre des mots sur le spectacle de la compagnie Full Bazar qui se vit bien mieux qu’il ne se raconte.
Voilà pour le côté artistique qui est un sans-faute, assurément. Mais en termes d’engagement écologique, où se situe la compagnie ? Plutôt dans le “faites ce qu’on vous dit, mais pas ce qu’on fait” ou est-elle prête à montrer l’exemple ? Solan répond à cette question avec humour : “J’ai passé une semaine dans les poubelles de Gap à chercher du plastique pour le décor (qui tient d’ailleurs dans une petite camionnette), on est donc sur quelque chose de minimaliste en total réemploie et artisanat pur !” Il ajoute à cela que, depuis le confinement, le monde du spectacle s’est beaucoup interrogé quant à la nécessité ou non d’aller vendre une pièce à l’autre bout de France ou du monde alors qu’il serait possible de tourner principalement en local, autour de chez soi et par conséquent diminuer au maximum son empreinte carbone. Enfin, il conclue en disant que symboliquement son geste à lui pour s’engager dans la sauvegarde de la planète serait de refuser les longs courriers en avion en trimballant des montagnes de décors dans un pays lointain.
Affaire à suivre, mais surtout spectacle à voir !
Écrit par Julie Lefebvre bénévole du Comptoir des Assos.
Cette contribution a été recueillie dans le cadre de la formation « Ecriture journalistique » et des animations « Déchets » proposées par l’équipe du Comptoir des Assos.