N’est pas déchet qui veut…
Le territoire briançonnais est un lieu de passage pour de nombreuses personnes migrantes, en particulier depuis 2015. Ce parcours montagneux entre l’Italie et la France, est jalonné de vêtements. Jetés ou déposés ? Un article du Dauphiné Libéré en Mai 2021 créait la polémique en employant des termes alarmistes « dépotoir, tas, détritus, déchets, souillés » et en cherchant une responsabilité dans le dépôt et le ramassage. Des conséquences démesurées y étaient associées : « pollution, considérations écologiques… », l’industrie touristique se trouvant en péril. Ces habits constituent-ils un risque de pollution réel et inquiétant pour notre territoire montagnard ?
Pourquoi des vêtements sont-ils déposés sur les sentiers ?
Les personnes migrantes doivent affronter terrains escarpés et climat montagnard. Lors de toute expédition en montagne, un bon équipement est un des gages de sécurité. Plusieurs morts et amputations de mains ou de pieds sont à déplorer lors du passage de la frontière franco-italienne aux abords de Briançon. Pour limiter ces risques, les personnes migrantes s’équipent d’habits chauds , de chaussures de montagne côté italien, si elles ont la chance de croiser des habitants bienveillants ou des bénévoles solidaires. Ces habits proviennent de dons (voir encart). Arrivées à proximité de la ville, souvent après une épopée nocturne et glaciale, ces personnes en exil sont épuisées. Leurs vêtements sont très souvent couverts de boue, déchirés par les branchages et les chutes. Leurs tenues peuvent attirer l’attention des personnes croisées en ville, habitants et forces de l’ordre. Les exilés se changent donc par souci de discrétion et pour être propres. Également pour s’alléger, se mouvoir rapidement, et ne sachant ni où ils vont, ni quel accueil ils recevront, ils décident aussi parfois de ne pas s’encombrer du poids supplémentaire laissent ces vêtement sur place. « Lors d’une journée de ramassage, j ai trouvé un petit sac à dos d’enfant. Une peluche était à l’intérieur, ça m’a fendu le coeur. Imaginez une petite fille qui, exténuée, doit faire ce choix d’abandonner un symbole cheri et rassurant derrière elle, et on fait le lien avec nos enfants qui font un caprice quand on oublie leur doudou » raconte une habituée des ramassages.
Multiples initiatives de ramassage
Certes, des habits abandonnés le long de sentiers, au détour d’un chemin, constitue un désagrément visuel. Depuis 2020, des critiques ont été entendues et parallèlement des solutions constructives, des initiatives citoyennes collectives et individuelles ont vu le jour.
Plusieurs collectifs ont choisi de prendre en main cette problématique qui leur paraissait être de la responsabilité de tous, et sur le domaine public. Tout comme des associations se sont investies pour ramasser les détritus jetés par les touristes chaque hiver sur les pistes ou encore nettoyer les déchets militaires datant de la deuxième guerre mondiale. Ainsi une vingtaine de scouts italiens sont venus à l’été 2020. Et 6 ramassages ont déjà eu lieu en 2021 effectués successivement par différents acteurs : une dizaine de touristes de l’auberge de jeunesse du Bez (Serre Chevalier Vallée); des bénévoles d’une association de protection de la nature, par un groupe de 10 chercheurs de l’ université italienne de Gênes; quelques 30 étudiants de l’université de Poitiers ; par des volontaires du mouvement citoyen Tous Migrants. « ça fait un choc et c’est triste ; on imagine derrière ces vêtements, une famille, des enfants, amenés à tout quitter et à se cacher, c’est tellement inadmissible » exprime un des touristes solidaires. Selon une responsable de Tous Migrants, lors de chaque ramassage, entre 10 et 20 sacs de 100 litres de vêtements sont ramassé. En parallèle de ces actions collectives, des initiatives individuelles voient aussi le jour. Au fil de leurs promenades, certains randonneurs se mobilisent spontanément: « je vois pas mal de vêtements autour du fort des têtes, je me balade souvent ici ; c’est dérangeant car cela ne fait pas propre dans la nature mais ces personnes n’ont pas le choix. J’ai vu des vêtements sur un sentier très périlleux, j’espère qu’il n’y a pas eu d’accident. Chaque fois que je me promène, j’ai un sac et je ramasse un peu » explique un promeneur rencontré vers le Pont d’Asfeld.
Un enjeu politique
Le territoire briançonnais est un lieu de passage pour de « On invisible des êtres humains, on nie leurs droits fondamentaux, plus de 18000 personnes sont passées par notre territoire dans des conditions dangereuses et indignes. Ces amas d’habits en tant que tels ne sont pas ou peu polluants, ce ne sont que des textiles. Et ils sont majoritairement ramassés. Mais ces habits dérangent car ils rendent visible et humaine la réalité migratoire. Ils dénoncent les politiques répressives qui se jouent tout proche, à la frontière. La présence de ces habits, confrontent certains , de manière concrète à leur manque d’humanisme, à leur refus d’accepter et d’accueillir ces personnes, y compris des femmes et des enfants » explique une adhérente de Tous Migrants, mouvement citoyen de sensibilisation et de plaidoyer envers les personnes migrantes.
Selon Tous Migrants, toujours, peu d’habits restent dans la nature. Ceux qui sont ramassés seront lavés et réutilisés. Ceux qui ont échappé aux premiers ramassages seront récupérés au printemps ou se désagrègeront progressivement au fil des saisons. Un cycle plutôt vertueux pour ces habits de deuxième main et semble-t-il à faible impact écologique. Une consolation bien dérisoire face au drame humanitaire qu’ils matérialisent.
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Cycle des habits ramassés sur les sentiers :
- Achat neuf ou d’occasion par des habitants et première utilisation
- Don aux associations en seconde main.
- Utilisation par des personnes migrantes pour éviter engelures, gelures, hypothermie.
- Dépôt d’habits sur le parcours migratoire
- Ramassages collectifs et/ou individuels
- Lavage des habits puis ils sont rapportés aux associations et réutilisés par d’autres personnes migrantes. Dépôts des habits inutilisables dans des containers de structures retraitant les vieux habits ou dans les ordures si pas récupérables
Écrit par VJ
Cette contribution bénévole a été recueillie dans le cadre de la formation « écriture journalistique » et les animations « Déchets » proposées par l’équipe du Comptoir des Assos.